Le rock aujourd'hui d'un point de vue philosophique

Publié le par Megalo Paul


  
   Ce topic part du constat suivant: peu de philosophes parlent de musique, et encore moins de rock. Un grand nombre d’oeuvres artistiques sont interprétées, commentées que ce soit en littérature, en musique classique ou en art contemporain, mais le rock, on ne le trouve nul part dans les livres de philo. Alors pourquoi ce dénigrement? Le rock est-il un sous-art ? Un professeur me confiait que ce désintéressement apparent ne venait pas d’un rejet esthétique des philosophes pour le rock, puisque de nombreux, dont lui même, étaient amateurs.   
    Le rock est habituellement  laissé à l’études des sociologues : on étudie les classes d’âge, les facteurs économiques et historiques de son apparition et de son succès, mais d’analyse philosophique, il n’y en a point.
Pourtant, il semble bien que le statut ontologique de la musique d’aujourd’hui soit réellement spécifique et qu’une comparaison avec les œuvres musicales classiques s’impose. Or, il apparaît que la musique d’aujourd’hui se définit par trois caractéristiques essentielles :

1_ Tout d’abord, la musique d’aujourd’hui se définit par sa faculté d’ubiquité : des personnes qui sont à l’autre bout du monde peuvent écouter la même œuvre, ce qui n’était pas le cas, lorsque Mozart jouait devant la court du roi.
2_Ensuite, l’art d’aujourd’hui est diffusé par des technologies de masse. Il est donc dépendant ontologiquement de la technicité de l’homme.
3_ Le rock, enfin, ne présuppose pas de pré-requis culturels. Il est accessible au plus grand nombre.

On peut ainsi considérer que le paradigme de la première œuvre d’art de masse est l’album du rockeur Les Paul qu’il enregistre en 1951. Il y joue de tous les instruments. On voit bien ici que l’« enregistrement » supprime la notion d’ « interprétation » de l’œuvre. Ce qui est fondamentale dans une œuvre musicale classique, c’est que l’œuvre est éphémère, elle est une interprétation (d’un orchestre) d’une partition dans un temps et un espace donné. L’interprétation est alors essentielle puisqu’elle contribue à l’œuvre. Dans le cas de l’art musical de masse, l’enregistrement permet d’écouter et de réécouter la même œuvre en des temps et espace différent. Cette dématérialisation de l’œuvre est encore plus évidente aujourd’hui à l’ère du Mp3, puisque le support matériel de l’enregistrement (on passe de la galette au vinyle, du vinyle à la cassette, de la cassette au cd, du cd au mini-disc…) tend lui-même à disparaître (ce qui pose le problème de la rémunération des artistes et du téléchargement pirate).
 
   Aussi, c’est la fonction même de l’art musical qui tend à changer. La dimension de l’art de masse est bien plus physique et spatiale qu’auparavant. La musique est de plus en plus faite pour occuper l’espace sonore. Je marche en ville en écoutant mon walkman, je conduis en écoutant la radio, de nombreuses personnes font de même. On peut remarquer par ailleurs que si les oeuvres se diffusent librement et que la musique devient de plus en plus partageable, cela ne veut pas dire pour autant qu’elle n’isole pas celui qui l’écoute. La musique s’est aussi beaucoup individualisée. Elle été auparavant d’avantage publique et occasionnelle (dans les fêtes, les concerts), elle devient privée et permanente. La musique, donc, voyage et nous accompagne dans nos déplacements. Les caractéristiques musicales sont alors repérables : les chansons à succès sont celles qui parlent plus au corps qu’à la tête, elles font bouger les jambes, mettent de bonne humeur ou nous calment. Les productions répondent à des préoccupations d’avantage matérielles et physiques. On fait appel au « confort d’écoute » et à des émotions primaires (des basses profondes, des paroles d’amour stéréotypées…). Cela ne veut pas dire qu’il faille mépriser ces œuvres, mais on voit bien que leur but est d’atteindre une diffusion maximum. Pour cela, les recettes ne sont pas facilement définissables, le talent est nécessaire. Aussi, la réussite et l’universalité peuvent être un critère de valeur (cf. les Beatles !).
Un autre fait notable : la création de l’œuvre devient de plus en plus collective : elle nécessite plus souvent un groupe qu’une seule personne, et surtout, il faut souligner l’importance du producteur, qui donne véritablement le son à l’œuvre. C’était le cas avec les Beatles et George Martin, c’est encore plus flagrant avec Britney Spears qui n’écrit pas ses morceaux et dont les succès sont caractérisés par une production impeccable et implacable.

   Il y a encore bien sûr des concerts, mais on y va la plupart des fois pour écouter les morceaux de l’album. Peu sont les artistes dont les prestations sont réellement créatrices de quelque chose de nouveau. On repère encore ici l’importance du concept « d’enregistrement » et les Beatles sont à nouveau un bon exemple, puisque à partir de 1966, ils ne donnent plus un seul concert pour se consacrer à l’enregistrement en studio. L’œuvre n’est plus ce qui est enregistrée : elle est l’enregistrement. On voit aussi par là que la mondialisation de la musique est un effet de ce changement ontologique et non l’inverse. C’est la technique et la contingence de son développement qui a permis à la musique de devenir art de masse, ce n’est pas l’économie mondialiste qui l’a contraint à devenir aujourd’hui ce qu’elle est. Ce post ne cherche pas à dévaluer ce devenir. Il y a des bons et des mauvais côtés à la mondialisation musicale. Les contraintes économiques, la nécessité du succès n’ont pas que des conséquences négatives. L’art devient d’avantage accessible, et il restera par ailleurs toujours de la musique indépendante, de spécialistes (certains pans du rock indépendants ; même si ces groupes cherchent aussi une plus grande diffusion (cf. le succès des Pixies, très bon groupe de la fin des années 80 qui refont aujourd’hui des concerts et vendent beaucoup plus qu’avant)), de la musique pour la tête et pour les bleus de l’âme.


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